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Mise à l'échelle: bien penser sa commercialisation
économie circulaire, impact environnemental
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Mise à l’échelle: bien penser sa phase de commercialisation

Le mois dernier sortait le premier article de notre série dédiée à la mise à l’échelle d’une entreprise d’impact. Dans ce 1er article, on expliquait l’importance de s’attaquer à la validation de sa stratégie d’impact, avant de planifier sa mise à l’échelle. Pour le relire, c’est par ici.
Cette semaine, on aborde la question de la commercialisation, avec Thibaud Joubert, l’un des coach.e.s phares de l’Esplanade. Il a accompagné des dizaines d’entreprises sur ce sujet, particulièrement dans le secteur alimentaire, dans lequel il a lui-même été serial-intra- et entrepreneur!
« Souvent, je constate que les entrepreneur.e.s n’ont pas conscience des spécificités liées au fait d’être une entreprise d’impact à l’étape de la commercialisation, » observe Thibaud.
Thibaud Joubert, coach d'affaires

Quels sont les enjeux et les défis caractéristiques des entrepreneur.e.s qui sont au stade de passer à l’échelle leur commercialisation ?

Selon Thibaud Joubert, on peut noter 5 aspects inhérents à la commercialisation d’une entreprise d’impact et dont il encourage les entrepreneur.e.s à tenir absolument compte:

La spécificité liée à l’innovation: augmenter les ventes d’une innovation vient inévitablement avec une épreuve à franchir, celle de faire comprendre et accepter l’innovation en question par son marché cible. Le client ou la cliente va découvrir le produit pour la première fois et aura besoin d’être éduqué.e ET convaincu.e. Un effort que n’ont pas à produire les entreprises de produits ou services moins innovants.

L’ambition d’impact: une entreprise d’impact en phase de commercialisation ne vise pas seulement des bénéfices économiques. De par sa raison d’être, elle cherche au moins tout autant à créer des bénéfices sociaux ou environnementaux, qui seront minutieusement évalués par la plupart de ses parties prenantes. À ce stade, les entrepreneur.e.s vont devoir cumuler performance économique et performance d’impact… ce qui n’est pas une mince affaire!

Élargir sa clientèle à une cible moins sensible: avant la commercialisation à grande échelle, souvent, les entreprises d’impact ont réussi à faire adopter leurs innovations à un petit bassin de client.e.s, les primo-adopteurs. Ce sont les convaincu.e.s de la première heure et souvent, les client.e.s les plus engagé.e.s et sensibles aux critères sociaux-environnementaux du produit en question. Cette cible était particulièrement à l’écoute de l’impact positif généré par l’entreprise. Par contre, une clientèle plus élargie, celle qui est nécessairement ciblée lors de la phase de mise à échelle, le sera probablement beaucoup moins. Cette cible sera convaincue avant tout par les performances économiques du produit ou service; un aspect souvent passé sous silence par les entrepreneur.e.s avant tout passionné.e.s par leur impact socio-environnemental. Il y aura donc tout un nouvel effort à fournir pour convaincre cette nouvelle cible de l’importance des avantages sociaux et environnementaux associés au produit. 

La raison d’une entreprise d’impact: disparaître? Une certaine théorie voudrait qu’une entreprise purement d’impact devrait être vouée à disparaître, à long terme. C’est surtout une extrapolation pour exprimer l’importance pour une entreprise d’impact de viser, avant toute chose, de créer le plus grand impact possible. Et non des ventes limitées de son produit dans le temps. Autrement dit, dans un monde idéal, lorsqu’une entreprise d’impact aurait tellement mis à l’échelle son innovation qu’elle aurait fini par faire disparaître le problème, alors elle n’aurait plus de raison d’être.

L’indispensable viabilité économique: la plupart des idées ci-dessus pourraient laisser penser que la viabilité économique de l’entreprise d’impact est secondaire. Que nenni! En fait, c’est plutôt tout le contraire. La mise à l’échelle de l’impact n’aura probablement pas lieu sans viabilité économique, et pourtant, il nous arrive de constater que certaines équipes entrepreneuriales se préoccupent tellement de l’impact socio-environnemental visé qu’elles en oublient la viabilité économique de leur projet sur le long terme.

« J’ai énormément de respect pour les entrepreneur.e.s d’impact car ce qu’ils essayent de réaliser, c’est le plus dur de l’entrepreneuriat: développer une innovation, tout en cherchant la viabilité économique ET tout en créant un impact sociétal à la clé. Ils cumulent tous les défis, dès le départ! »

Thibaud Joubert, coach d’affaires à l’Esplanade et sérial entrepreneur.

Quels sont les risques courants qu’on observe chez les entreprises d’impact en phase de mise à l’échelle de leur commercialisation?

Passer à l’échelle son entreprise revient à augmenter ses moyens et sa portée pour faire profiter de son innovation à un public plus large. Ça demande davantage de ressources, plus de compétences à aller chercher et, inévitablement, ça entraîne moins de contrôle.

Pour résumer, disons qu’à ce stade, il y a 2 risques:

1er risque: vouloir aller trop vite.

Avant de passer à l’échelle, il semble nécessaire de prendre un temps de recul et de réflexion. Une bonne occasion pour intégrer un accélérateur à ce stade, notamment pour se faire challenger dans ses réflexions et se faire pointer les angles morts non identifiés. 

« Je vois beaucoup d’entrepreneur.e.s qui abordent la phase de mise à l’échelle avec une très grande confiance envers leur expertise de la problématique sociale ou environnementale ciblée, parce qu’ils l’ont étudiée parfois pendant des années. Pourtant, à l’Esplanade, on en voit régulièrement qui, à ce stade, se font challenger sur la problématique de départ et se rendent compte qu’ils doivent finalement affiner leur stratégie d’impact, » explique Thibaud.

Prendre un temps de réflexion en équipe, entre fondateurs et fondatrices, avec les parties prenantes et les bénéficiaires, permet aussi à ce stade de s’assurer de l’alignement de tout le monde sur la vision à long terme qui s’apprête à être déployée. C’est plus que jamais le temps de s’assurer qu’on se connaît bien, qu’on est les bonnes personnes pour mener à bien le projet et qu’on est tous et toutes aligné.e.s sur la même ambition. Sinon, c’est sûrement le moment d’impliquer de nouvelles parties prenantes et de nouveaux partenaires (bailleurs de fonds, associé.e.s, fournisseurs, employé.e.s).

2ème risque: vouloir saisir toutes les opportunités de commercialisation.

Pour faire court, il faut savoir à quoi on dit oui et à quoi on dit non. Parfois, souvent même, à ce stade, il est plus stratégique de refuser une opportunité de commercialiser son innovation parce que la clientèle visée n’est pas la bonne ou que l’on est pas prêt. Le plus gros risque évoqué ici, c’est la dispersion. Vouloir à tout prix vendre son innovation d’impact en ayant pas assez mesuré les conséquences sur le long terme. Autrement dit, dire oui aux mauvais.es client.e.s, généralement, c’est une erreur qui peut coûter cher.

2 exemples d’entreprises d’impact qui ont dit non pour mieux dire oui

Näak et La Pimenterie sont 2 entreprises d’impact qui ont été accompagnées par Thibaud Joubert dans le cadre des programmes de l’Esplanade. Les stratégies de commercialisation qu’ils ont choisi de développer sont de bons exemples pour illustrer les propos de cet article.

Näak est une entreprise qui fabrique des produits de nutrition sportive à partir de protéines responsables (avec de la poudre de grillon par exemple) pour diminuer l’empreinte carbone associée à ce type de produits. Quand est venu le temps de mettre à l’échelle leur production, les 2 cofondateurs de Näak ont fait un choix stratégique et salvateur: ne pas se précipiter à élargir la commercialisation de leurs produits à une cible trop vaste et encore peu sensible aux enjeux environnementaux évoqués. À la place, ils ont réalisé un long travail de développement avec leur primo-adopteurs, soit les athlètes de haut niveau. Même si ce segment de clientèle n’était pas suffisamment rémunérateur, il s’agissait des client.e.s les plus à même d’être sensibles aux impacts environnementaux associés à ce type de produits, à être convaincu.e.s par la valeur ajoutée des produits Näak et ultimement à influencer très fortement la future clientèle élargie, pour qui ils représentent un exemple à suivre.

Les barres de protéines de Näak, entreprise accompagnée dans le programme Transformation de l’Esplanade.
Les sauces pimentées de La Pimenterie, startup accompagnée dans le programme Transformation de l’Esplanade.

Autre exemple parlant, celui de La Pimenterie. L’entreprise a rencontré un succès fou dès ses débuts mais s’est contrainte, pour la bonne cause, à refuser des demandes de développement de son produit de base en produits similaires, pour ne pas risquer, comme on dit, de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Autrement dit, à ce stade, développer de nouveaux segments de produits sur demande, aussi tentant soit-il, représentait un réel risque de dilution: chercher une nouvelle clientèle adaptée au nouveau produit, débarquer sur de nouveaux marchés, dénicher de nouveaux fournisseurs, etc. Un risque à éviter à tout prix, alors même que l’entreprise se trouve déjà sur une formidable lancée!

Le secret? Devenir un clou, un sablier et une boussole!

La métaphore de Thibaud Joubert à donner aux entrepreneur.e.s en phase de mise à l’échelle de leur commercialisation?  « Soyez un clou, un sablier et une boussole. » Ceci n’est pas une blague… Voici comment:

Le clou: soyez comme un clou, très fin, à la pointe acérée, qui rentre facilement dans un mur, sans le défoncer et pour finalement arriver à porter beaucoup plus lourd que lui-même. Autrement dit, assurez-vous d’être très clair.e et précis.e sur la problématique que vous voulez résoudre et sur le moyen précis d’y arriver. Cela ramène à la nécessité de se concentrer sur le plus important et de dire non aux opportunités qui ne permettent pas de répondre précisément à la problématique identifiée.

Le sablier: soyez conscient.e du temps nécessaire que prend cette phase de découverte, de validation et d’alignement avant de mettre à l’échelle. Cela implique également de trouver les moyens de pouvoir s’accorder ce temps.

La boussole: cherchez à atteindre un alignement à l’interne, indispensable, qui aura pour bonus de solidifier votre storytelling et d’augmenter la confiance et la fidélité de vos parties prenantes. 

4 étapes de réflexion pour monter et exécuter avec succès son plan de commercialisation d’impact

1ère étape: réaliser correctement la phase d’exploration externe et interne.

Pour cette première phase de réflexion, on vous suggère de vous poser en équipe ces quelques questions déterminantes:
– Ai-je parfaitement compris la problématique que je veux contribuer à résoudre?
– Connais-je bien par cœur le marché dont il est question?
– Est-ce que ma solution est bel et bien la bonne pour résoudre la problématique ciblée?
– Est-ce que j’ai mis en place un alignement a priori gagnant à l’interne? (avec les associé.e.s, partenaires d’affaires, les, investisseur.e.s, les  employé.e.s?)

PS: sur ce dernier point, cela reste itératif tout du long, avec de l’essai-erreur en cours de route…

2ème étape: bien planifier sa croissance. 

Quelques questions à se poser, toujours en équipe:
– Par quel chemin je vais passer?
– Dans quel ordre et de quelles façons vais-je recruter mes parties prenantes (usagers, bénéficiaires, tiers payeurs)?
– Quelles seront les messages que je vais marteler et auprès de quel public précisément?
– À qui et à quoi vais-je dire non et pourquoi?

3ème étape: se doter des bons moyens. 

Encore une fois, être entrepreneur.e d’impact et passer à l’échelle, c’est ce qu’il y a de plus difficile. C’est là qu’on risque d’essuyer le plus de frustrations, de déceptions, d’impatience, D’autant plus que notre grande conscience nous martèle l’urgence de résoudre le problème auquel on s’attaque!

À cette phase de validation donc, la première condition de succès est de ne pas sous-évaluer le coût financier que représente le temps dont on va avoir besoin. Il s’agit de se structurer pour anticiper de façon réaliste ses besoins de trésoreries (et de calibrer ses coûts et revenus). Les moyens évoqués ici ne sont pas seulement financiers, tenez-vous bien: il est aussi question de prendre soin de son bien-être physique et mental, la clef pour donner le temps au sable de s’écouler dans la sérénité!

4e étape: ne jamais perdre de vue la viabilité économique. 

Elle est et restera la condition sine qua non pour toutes les parties prenantes. Il faut rester très pragmatique et agile à ce sujet. Par contre, performance économique ne veut pas simplement dire offrir un prix préférentiel sur le marché. Dans le cas d’une entreprise d’impact, intégrer les coûts environnementaux et sociaux épargnés par l’innovation en question dans le calcul de cette performance économique, a tout son sens! Surtout dans un contexte ou il faut convaincre les acteurs du marché que son produit d’impact peut remplacer les autres produits existants, qui ne sont pas d’impact et qui n’apportent aucun ou peu de bénéfice social ou environnemental !

Voilà qui clôt ce deuxième article de perspectives et conseils de notre série spéciale sur la mise à l’échelle. On vous laisse sur un dernier conseil, pragmatique et avisé, de Thibaud Joubert.. À bon entendeur 😉 :

« Je crois que tout entrepreneur d’impact aurait à gagner à se faire aider par des spécialistes en entrepreneuriat d’impact. Il faut selon moi être très conscient.e que le fait de monter une entreprise d’impact vient avec des enjeux spécifiques. Des spécialistes en entrepreneuriat d’impact ont la capacité et l’expérience de comprendre et montrer les murs que ces entrepreneurs risquent de frapper.»