Suivez-nous
L'entrepreneuriat peut-il contribuer à la préservation de la biodiversité?
biodiversité, entrepreneuriat
11039
post-template-default,single,single-post,postid-11039,single-format-standard,bridge-core-2.3.2,ajax_updown_fade,page_not_loaded,,qode-title-hidden,side_menu_slide_from_right,qode-child-theme-ver-1.0.0,qode-theme-ver-21.8,qode-theme-bridge,wpb-js-composer js-comp-ver-8.0,vc_responsive

L’entrepreneuriat peut-il contribuer à la préservation de la biodiversité ? Lumière sur 3 organisations.

La préservation de la biodiversité était l’enjeu central de la COP15, que Montréal a accueilli cette année. Un combat déterminant qui se doit d’être mené de front tant par l’action citoyenne que par nos institutions, nos politiques, le monde de la recherche et pourquoi pas..l’entrepreneuriat.

Mais, entrepreneuriat et préservation de la biodiversité peuvent-ils faire bon ménage? À en écouter les leaders et fondateurs de Polliflora, RHST et Éco-pivot, la réponse est oui!  Les 3 organisations d’impact, tantôt entreprise, tantôt coopérative, étaient mises à l’honneur, le 8 décembre dernier, lors du panel organisé à Montréal, par Esplanade Québec et le collectif COP15Comment ces 3 organisations ont réussi à placer la préservation de la biodiversité au cœur de leurs modèles d’affaires?  Que nous enseignent-elles sur les enjeux, les défis que peuvent rencontrer les entrepreneur.e.s avec de telles ambitions pour la biodiversité? Retour sur une discussion éclairante et qui donnera peut-être le goût à des entrepreneur.e.s de se lancer à leur tour dans la préservation de la biodiversité!

Comment Polliflora, Éco-pivot et RHST contribuent à préserver la biodiversité?

Polliflora est une coopérative de solidarité à but non lucratif qui a pour but d’impliquer le plus grand nombre de membres (citoyens, municipalités, entreprises..) pour répondre à un enjeu commun colossal: le déclin des pollinisateurs, et ce, particulièrement en ville. 

«Au tout départ, on s’était concentré sur l’installation de ruches d’abeilles en ville, explique Charleen Kotiuga, directrice générale.  Mais avec nos équipes d’apiculteurs et de biologistes, après quelques années, on s’est rendu compte qu’ on faisait erreur et qu’on aggravait même le problème! En fait, on a constaté que la multiplication des ruches d’abeilles en milieu urbain accentue la compétition avec tous les autres pollinisateurs existants (plus de 200 à Montréal!) et que ca contribue ainsi au déclin de ces autres pollinisateurs. »

C’est après ce constat, difficile mais constructif, que Polliflora a changé de voie pour mieux répondre à sa mission. Depuis plusieurs années, son activité principale consiste ainsi en la création d’habitats pour pollinisateurs, qui semble être une solution durable pour enrayer leurs déclins et améliorer ce qu’on appelle ‘la santé urbaine’. Polliflora agit aussi sur 2 autres volets:  l’apiculture (avec un plafond de 50 ruches),  mais aussi l’éducation, au travers de multiples ateliers de formation et de sensibilisation du public à sa mission.

RHST est une startup montréalaise fondée par Thomas Gradek, un passionné des enjeux d’agriculture, ayant lui-même géré des terres agricoles pendant plus de 20 ans. Sa startup s’attaque à un enjeu de taille: la consommation d’eau utilisée en agriculture. Celle-ci consomme 70% de l’eau douce de la planète, mais 30 à 50% de cette même eau est perdue par l’évaporation, sans avoir eu d’utilité pour les cultures.. Une perte colossale, à laquelle RHST a mis au point une solution: un revêtement de sol en perles biodégradables qui permet une augmentation du rendement agricole, tout en diminuant la consommation d’eau. « Chaque bille coûte moins chère qu’un M&Ms, affirme Thomas, ce qui rend la solution accessible aux plus grands nombres d’agriculteurs ». Les premiers concernés par une telle technologie étant les agriculteurs de terres arides de territoires particulièrement pauvres, principalement en Afrique et en Asie.

Quant à Éco-Pivot, la jeune entreprise a été fondée par deux co-fondateurs, dont Alexandre Beaudoin, tous deux biologistes de formation, chercheurs spécialisés en biodiversité urbaine. Après avoir fait de la recherche sur le sujet pendant de nombreuses années, les deux passionnés ont mis au point des services de conception de corridors écologiques. Leur mission se concentre sur la création de corridors écologiques qui soient à la fois utiles pour la biodiversité et pour les communautés locales. L’entreprise est également très active dans la promotion de l’aménagement d’espaces verts et bleus en ville, qui soient adaptés à la faune et qui permettent aux citoyens d’en profiter.

Les ruches de Polliflora, au campus MIL.

Jardin vitrine du campus MIL, à Montréal, aménagé par Polliflora.

Pourquoi avoir choisi tel ou tel statut juridique pour son organisation d’impact?

Polliflora est une coopérative de solidarité à but non lucratif. Pour Charleen Kotiuga, c’est un statut juridique idéal pour « impliquer le plus grand nombre de membres et l’ensemble de sa communauté ». Un modèle qui permet de réunir ses membres dans l’action afin de résoudre un enjeu qui leur est commun à tous: le déclin des pollinisateurs. Le fait d’être une coopérative leur permet aussi un modèle financier résilient, constitué à 60% d’autofinancement et à 40% de subventions. « Cela assure une meilleure pérennité de l’organisation dans le temps » explique Charleen.

Quant à Éco-pivot, son fondateur, Alexandre Beaudoin, affirme que le fait d’être constituée en une entreprise leur permet non seulement une grande liberté, mais aussi de sortir des cadastres, des territoires…« Cela permet de chercher l’intérêt des acteurs tant publics que privés. Le fait d’être une inc apporte une certaine crédibilité selon moi ».  À ce sujet, l’entrepreneur chercheur reconnaît que la faiblesse de la recherche, dans laquelle il navigue depuis longtemps, c’est justement le manque de financement. Alors que le véhicule entrepreneurial permet lui d’aller chercher des contrats, tout en recevant des bourses et des financements de recherche. « En outre,  la recherche, associée à l’entrepreneuriat, permet un équilibre vraiment intéressant, financièrement parlant ».

Comment aborder l’importance de mesurer son impact ? Comment on s’y prend, en tant qu’entrepreneur.e, et pourquoi est-ce si important?

Pour Charleen Kotiuga, de la coop Poliflora, « c’est vraiment important pour nos bailleurs de fonds, qu’on mesure concrètement notre impact et qu’on le communique clairement ».

Chez Polliflora, l’impact se mesure d’abord sur le côté quantitatif. Par exemple, en ce qui concerne 2022, la coopérative compte à son actif 4 951 mètres carrés aménagés pour les pollinisateurs, 7 736 végétaux plantés et 170 activités de sensibilisation et de mobilisation. La coop’ est aussi capable de mesurer la quantité d’eau utilisée et depuis cet été, l’équipe a même commencé à mesurer le nombre de pollinisateurs avant et après l’installation de ses nouveaux jardins.

Sur le plan de la mesure qualitative de notre impact,  « l’année dernière, grâce à une bourse avec les FRQ (Fonds de Recherche du Québec) qu’on a obtenu via Esplanade Québec, on est allé jusqu’à étudier si des sols contaminés se transfèrent dans le nectar et le pollen des fleurs mellifères. C’est important de s’assurer que notre travail est cohérent avec nos valeurs et bénéficient réellement aux pollinisateurs. »

Par contre, l’un des enjeux liés à la mesure d’impact est celui de la mesure à long terme: « on a des actions très concrètes, comme l’implantation de jardins favorables à la biodiversité. Les impacts peuvent être observés sur du très long terme et à grande échelle sur le territoire, comme l’augmentation des quantités de pollinisateurs ou la diversification des espèces par exemple. Mais on a pas encore l’expertise pour mener ce type d’étude à grande échelle, d’où l’importance de s’allier à des partenaires clés.»

RHST, quant à elle, a déjà réalisé un premier test de grande ampleur sur une culture d’amandes en Californie, région sur laquelle aucune goutte de pluie n’est tombée entre le 1er mars et le 13 octobre de cette année.. Le test mené par RHST, durant cette même période, a eu des résultats qui démontrent tout l’impact de sa technologie:  « On a appliqué nos panneaux de billes, en dessous du système d’irrigation, sur une culture test d’amandiers et on a calculé le taux d’humidité retenue dans le sol sur notre culture versus la culture de contrôle. Tenez vous bien.. Après 75 jours, le taux d’humidité du sol de la culture contrôle était de 18% alors celui de notre culture test était de 99% ! »

Les billes de RHST

Les billes de RHST installées sur une culture d’amandiers, en Californie.

Quelles seraient les demandes à formuler aux gouvernements sur le plan réglementaire et politique, afin de favoriser les solutions qui contribuent à la préservation de la biodiversité ?

Former les élus à la biodiversité, allouer des budgets et déminéraliser..

Pour Éco-pivot, le besoin se situe notamment sur une formation sérieuse des élus en amont de la COP15 et des autres rencontres internationales sur les sujets de biodiversité. Côté budgétaire, Alexandre confirme qu’on attend des municipalités et des élus qu’ils établissent des budgets clairs et conséquents dédiés aux infrastructures naturelles, à la création de prairies ouvertes, etc. « Je pense qu’il doit aussi y avoir une forme d’obligation à identifier les zones à déminéraliser en villes, afin d’éviter l’accumulation d’îlots de chaleur et de créer des poches de biodiversité un peu partout, qui soient reliés entre elles, pour créer ces fameux corridors écologiques, indispensables! »

Enfin, pour Alexandre, les citoyens ont aussi leur rôle à jouer: « On a besoin que les citoyens prennent le sujet en main pour avoir un réel impact sur leur milieu direct, que ce soit leur quartier, leur coin de rue ou leur arrière-cour! » 

Du chemin à faire pour une meilleure réglementation en faveur des pollinisateurs au Québec.. 

Charleen, de Polliflora se permet de souligner une très récente victoire en ce qui concerne leurs récurrentes demandes aux politiques: « On a poussé longtemps pour la création d’une politique de protection des pollinisateurs, et nous sommes ravi.e.s qu’elle ait enfin été annoncée le mois dernier à Montréal! »

Mais il reste du chemin à faire en ce qui concerne l’enjeu de la préservation des pollinisateurs indigènes. Parmi la liste des demandes de Polliflora, on retrouve notamment une meilleure réglementation de l’apiculture en ville, pour éviter les résultats contre-productifs de la pose de ruches en ville, problématique sur laquelle Polliflora a mis le doigt il y a plusieurs années. « Ça prendrait un recensement officiel des ruches existantes et un plafonnement de leurs nombres » explique Charleen.

Charleen évoque aussi le besoin d’une meilleure politique de préservation des milieux naturels et d’intégration de pratiques de gestion différenciée dans la gestion des parcs de la ville. Par exemple, interdire la tonte de gazon en mai pour laisser les pissenlits grandir, voire interdire la tonte en tout temps dans certaines zones, afin de laisser pousser naturellement les prairies, habitats favorables aux pollinisateurs.. Mais aussi, il s’agit d’augmenter le pourcentage de plantes et d’arbres indigènes à inclure dans les plans d’aménagement paysager de la ville. 

Deux autres enjeux majeurs que Polliflora met de l’avant concernent le développement d’un plan pour élargir les mesures de conservation à d’autres espèces sauvages, en créant des corridors écologiques. Et enfin, une meilleure légifération de l’utilisation des pesticides pour éviter de tuer inutilement des plantes importantes, comme les pissenlits, qui ne sont pas “des mauvais herbes”.

Engager toutes les parties prenantes sur les défis liés à l’eau en agriculture..

Pour Thomas Gradek, de RHST, en ce qui concerne les défis de préservation de l’eau consommée par l’agriculture, «il est temps que toutes les parties prenantes s’engagent à la mise en œuvre de solutions. Cela passe notamment par le fait de faciliter le financement des innovations comme celle de RHST: obligations vertes, incitations fiscales, contrats gouvernementaux, subventions…»

Thomas explique aussi que les institutions financières doivent développer des évaluations pour les solutions qui réduisent les risques décrits dans les rapports de taxonomie du TCFD ou de l’Union européenne. «C’est bien que les risques aient été évalués, mais il est maintenant temps d’évaluer les solutions, afin que les entrepreneurs puissent obtenir un financement pour accélérer la construction de leurs solutions.» conclut-il.