Louis Perrin, Analyste Senior Stratégique et Financier chez Esplanade Québec et Gaëtan Cirefice, Directeur gestion et financement en Économie Sociale chez PME MTL Est-de-l’Île, vous proposent un outil en 5 étapes pour vous aider à y voir plus clair.
Mieux connaître l’écosystème de soutien et de financement des entreprises d’économie sociale au Québec
Comprendre les prérequis au financement et les critères d'évaluation des bailleurs de fonds



Au Québec, la loi définit une entreprise d’économie sociale selon sept critères fondamentaux. L’entreprise doit :
Comme toute loi, celle-ci comporte une marge d’interprétation. C’est pourquoi le Chantier de l’économie sociale a publié en 2019 un cadre de référence précisant les éléments à mettre en place pour être reconnue comme entreprise d’économie sociale.
Au Québec, seules les coopératives, les OBNL et les mutuelles peuvent revendiquer ce statut.
Si, grâce à leur structure juridique, leur mode de gouvernance et leur fonctionnement, les coopératives sont de facto considérées comme des entreprises d’économie sociale, pour les OBNL en revanche, la situation est plus complexe et nécessite un examen plus approfondi.
Pour pouvoir définir de manière éclairée le statut d’une entreprise, il est donc nécessaire d’examiner en détail leur gouvernance, leur structure de revenus et leur culture organisationnelle.
Trois points peuvent être particulièrement critiques pour les OBNL : l’indépendance décisionnelle, la réalisation d’activités économiques et la viabilité économique. De ce fait, de nombreux OBNL ne répondent pas aux critères d’une entreprise d’économie sociale. Par exemple:
Pour vous aider à clarifier votre situation, nous vous proposons un autodiagnostic rapide:
Si le doute persiste, une organisation d’accompagnement spécialisée en économie sociale pourra vous guider et apporter un éclairage précis.
L’écosystème de l’économie sociale est vaste, diversifié et en constante évolution. Chaque région possède son propre pôle d’économie sociale ainsi que son organisation de développement économique local. Pour obtenir des informations locales spécifiques, nous vous recommandons de contacter les organisations de votre région.
Elles peuvent être :
En 2025, un portrait de l’économie sociale au Québec a été publié, soulignant son poids réel : environ 10% de l’économie québécoise, avec:
Le contexte actuel est complexe pour toutes les entreprises, y compris celles d’économie sociale. Les profondes mutations économiques et la rigueur budgétaire des trois paliers de gouvernement impactent le financement et le fonctionnement des programmes.
L’inflation et la hausse des coûts opérationnels réduisent également le pouvoir d’achat des client.e.s, limitant la marge de manœuvre financière des entreprises d’économie sociale.
Pourtant, ces entreprises sont essentielles : elles offrent des solutions inclusives, durables et locales, générant des retombées sociales positives dans toutes les régions et secteurs. Souvent méconnues, elles contribuent depuis des décennies au développement des communautés et au dynamisme des territoires, et sont un important moteur d’innovation sociale.
Notre recommandation : Parlez de votre projet plus tôt que trop tard avec les organisations d’accompagnement de votre territoire. Elles pourront vous donner un retour réaliste sur le niveau de maturité de votre projet, les étapes à franchir et vous orienter vers les ressources les plus pertinentes. Dans certains cas, elles peuvent même vous accompagner directement dans la réalisation de certaines étapes grâce à leurs ressources internes.
Structurer votre projet par phases, avec des étapes claires et réalistes. Cela vous permettra de démontrer votre maîtrise du projet ainsi que votre compréhension de l’écosystème de financement. Cela facilite également le positionnement de vos besoins auprès des offres de services de PME MTL et Esplanade Québec, tout en maximisant l’utilisation des ressources d’autres acteurs d’accompagnement, comme le CDRQ, le Réseau COOP, le RISQ (réseau d’investissement social du Québec), les Pôles d’économie sociale régionaux ou les MRC.
Pour être bien préparé, commencez par clarifier votre stratégie de financement en identifiant les besoins précis, objectifs et questions essentielles à traiter pour démontrer que votre projet est solide et bien structuré par phases (voir caneva ci-bas).
Vient ensuite le temps de rassembler et de synthétiser l’ensemble des éléments qualitatifs et quantitatifs qui soutiendront votre projet : votre data room.
Enfin, il s’agira de mettre votre stratégie en action en élaborant un discours convaincant, capable de séduire investisseurs et partenaires financiers.
1. Votre stratégie
La réflexion stratégique autour du financement est cruciale. Il s’agit de construire un véritable plan de financement, aligné sur des jalons précis à atteindre. À ce stade, assurez-vous de bien identifier le stade de maturité – ou phase – de votre projet (idéation, validation ou commercialisation).
Il est judicieux de découper le financement en phases cohérentes avec le déploiement du projet, afin de solliciter le bon financement au bon moment.
Cette approche facilite également la décision des bailleurs de fonds, qui peuvent choisir de soutenir une étape spécifique plutôt que le projet dans sa globalité.
Construire son plan de financement
Pour chaque étape de maturité de votre projet, qu’il soit actuel ou à venir, identifiez :
Pour cela, vous pouvez vous inspirer du caneva ci-dessous.

Créer sa data room
Une data room est un espace sécurisé (physique ou numérique) où une entreprise centralise toutes les informations clés afin de faciliter l’évaluation par les investisseurs et partenaires, généralement dans le cadre d’un financement, d’une vente d’entreprise ou d’une transaction.
Au-delà des principales métriques évoquées plus haut, elle regroupe toutes les données pertinentes susceptibles de convaincre vos futurs financeurs.

2. L’opérationnalisation
Une fois les éléments clés de votre stratégie prêts, il est temps de passer au concret.
Construire un discours convaincant

Pour convaincre les bailleurs de fonds, quatre éléments sont essentiels à maîtriser :
Le projet
Au-delà de la simple nature de la dépense, parlez de votre projet, démontrez sa valeur et alignez votre discours avec les orientations stratégiques des bailleurs de fonds que vous sollicitez.
La commercialisation
Démontrez de manière solide votre capacité à réaliser le plan d’affaires grâce à des arguments tangibles et des preuves de vos compétences commerciales.
L’équipe
Prouvez que l’équipe en place permettra d’atteindre les objectifs. Soulignez les compétences clés, la complémentarité des membres de votre équipe, ainsi que les systèmes de support et l’accompagnement existants, tels que le mentorat ou les comités aviseurs.
Vision et impact
Mettez l’accent sur la vision et l’impact social et environnemental de votre projet. Idéalement, accompagnez vos affirmations d’une mesure d’impact concrète pour montrer la portée de votre projet.
Certains outils en ligne, comme celui de la mesure d’impact, crée par notre équipe d’ Esplanade Québec , peuvent aider à quantifier cet impact.
Retour d’expérience : Un camion qui n’en était pas un
« Une entreprise d’économie sociale est venue me voir avec un objectif clair : financer l’achat d’un deuxième camion de livraison. Selon les dirigeants, entre l’approvisionnement et les livraisons, leur unique camion ne suffisait plus à répondre à la demande. En d’autres mots, ils sont venus me présenter… une dépense.
Après plusieurs échanges et quelques visites sur le terrain, nous avons réalisé que le vrai enjeu n’était pas le manque de camion, mais plutôt l’organisation logistique autour de son utilisation. Le “projet” n’était donc pas l’achat d’un véhicule, mais une réorganisation interne pour optimiser les opérations.
La leçon ? Quand vous cherchez du financement, ne pensez pas seulement en termes de dépense, mais bien en termes de projet : quelle transformation, quelle amélioration ou quel impact votre demande permettra-t-elle d’atteindre ?
C’est cette vision globale qui fera toute la différence.
Dans l’économie sociale, où l’on ne prend pas de garanties personnelles comme dans la finance traditionnelle, cette approche est d’autant plus essentielle : elle demande une analyse plus approfondie et une démonstration claire de l’utilité économique et sociale du projet. »
Gaëtan Cirefice
Directeur gestion et financement en Économie Sociale chez PME MTL

Se mettre dans la peau d’un financeur permet de comprendre sa perspective, de rendre votre présentation plus pertinente et de faire gagner du temps à votre interlocuteur.rice.
L’objectif : savoir ce qu’il ou elle va regarder en priorité et donc ce qu’il faut mettre en avant lors de la rencontre.
Lorsqu’un bailleur de fonds évalue un projet ou une équipe, il s’attarde en priorité sur les éléments suivants :
Une vision d’affaires maîtrisée
Un plan d’affaires cohérent fait dialoguer le qualitatif et le quantitatif : votre discours doit correspondre aux chiffres du prévisionnel, racontant ainsi une histoire chiffrée et cohérente.
Cette cohérence se construit au fil d’itérations, en confrontant votre plan à différents interlocuteurs pour affiner vos hypothèses.
En tant qu’entrepreneur·e, au-delà de démontrer que votre projet répond à des besoins clairement établis et qu’il s’inscrit dans la mission sociale de votre entreprise d’économie sociale, vous devez être en mesure de comprendre et d’expliquer les variables clés de sa réussite commerciale et financière en les appuyant sur des hypothèses documentées, études de marché ou validations terrain. Vous inspirerez ainsi confiance.
Pour renforcer votre crédibilité, intégrez une analyse de scénarios, y compris un worst case scenario, pour montrer que votre modèle reste viable même dans des conditions moins favorables.
Exemple concret : Les bailleurs de fonds réalisent souvent un “stress test” en diminuant artificiellement les revenus de 30%. Si le modèle tient encore la route, c’est un bon signe de robustesse, surtout quand on sait que la surestimation des ventes atteint souvent ce même ordre de grandeur.
Des réalisations tangibles à ce jour
Un financeur cherchera à valider la crédibilité de votre projet à travers les données et les résultats concrets déjà observables. Ces éléments serviront à justifier la cohérence de vos prévisions financières et à évaluer votre capacité à livrer les résultats promis.

Une équipe compétente
Il est essentiel de démontrer que l’équipe est à la fois compétente et complémentaire, surtout aux premières étapes du projet.
Les financeurs accordent une attention particulière à la capacité de l’équipe à exécuter le plan d’affaires, notamment en matière de commercialisation, un levier de réussite clé.
Ils valorisent également les équipes capables de s’entourer intelligemment, en allant chercher du soutien auprès de conseiller.ère.s ou mentors, ou encore en sollicitant celui du conseil d’administration.
Autre point souvent déterminant : la crédibilité dans l’exécution. Un bailleur de fonds qui a déjà soutenu votre projet observera si l’équipe a réalisé ce qu’elle avait annoncé.
Cette cohérence entre promesses et résultats renforce la confiance et la perception de fiabilité de l’équipe.

Une gouvernance solide
Dans une entreprise d’économie sociale, les décisions clés sont prises par le conseil d’administration, le ou la Directeur.rice Général.e et des personnes clés de l’organisation.
Contrairement à une entreprise privée où une décision peut être prise individuellement, la gouvernance collective apporte un cadre de contrôle et de responsabilité.
Bien que ce type de gouvernance puisse parfois ralentir la prise de décision, ses avantages sont significatifs : elle permet un rétro-contrôle efficace car plusieurs personnes analysent et valident les décisions stratégiques, et réduit le risque d’erreur ou de décisions impulsives.
Plus il y a de parties prenantes impliquées, plus la décision est robuste.
Quand tout va bien, on se préoccupe rarement de la gouvernance. En revanche, les problèmes surviennent souvent lorsqu’elle est défaillante.
Il est donc essentiel de s’assurer que tous les outils de contrôle et de suivi sont en place.